Le peuple aura toujours le dernier mot.
Le Burkina Faso vit depuis quelques jours une situation insurrectionnelle sans précédent dans l’histoire du pays. C’est un projet de révision constitutionnelle qui a mis le feu aux poudres.
 
 
Blaise Compaoré, qui présidait aux destinées du pays depuis 27 ans, vient d’être contraint le 31 octobre 2014, à la démission par suite d’un soulèvement populaire.
Il était arrivé au pouvoir en octobre 1987 par suite d’un coup d’État militaire contre son compagnon d’armes et de révolution Thomas Sankara. A la faveur des processus de démocratisation du début des années 90, Blaise Compaoré s’était transformé en « démocrate » adoubé par la communauté internationale pour ses bons et loyaux services en tant que médiateur dans plusieurs crises de la sous-région ouest-africaine. Il s’était fait réélire en 2010 pour un second et dernier mandat de 5 ans conformément à l’article 37 de la constitution adopté en 1991.
Mais voilà que le président Compaoré, dans une volonté manifeste de se maintenir au pouvoir, engage à un an de l’échéance de son mandat actuel, un passage en force pour réviser la constitution lui donnant droit de se représenter aux prochaines élections présidentielles en 2015. Pour ce faire, le clan Compaoré choisi la voie parlementaire prévue dans la constitution et cela afin de contourner un éventuel rejet par le peuple s’il était appelé à un référendum pour se prononcer sur la question.
 
Chronologie d’une chute annoncée :
Cela fait bientôt un an que les acteurs de la vie sociopolitique burkinabé ont montré à leur grande majorité, une désapprobation et un rejet de toute velléité de modification constitutionnelle afin de permettre au président Blaise Compaoré de se maintenir au pouvoir. Les partis politiques de l’opposition, la société civile, les dignitaires religieux et coutumiers, les partenaires techniques et financiers,…, tous se sont fait entendre et indiqué les risques pour la paix et la stabilité que ferait courir au pays, toute tentative de modification non consensuelle de la loi fondamentale au seul bénéfice du maintien au pouvoir d’un homme. Rien n’y fit, le président Compaoré et le parti politique qui l’a porté au pouvoir (le Congrès pour la Démocratie et le Progrès et qui était majoritaire à l’Assemblée Nationale) sont restés sourds malgré les nombreuses manifestions de rue de plus en plus massives dans différentes villes du pays. Ils sont restés également sourds à une fracture sociale de plus en plus forte. Plus de 60% de la population (16,5 millions d’habitants) est jeune, de plus en plus instruite, connectée au reste du monde par l’information, qui refuse le dictat et aspire à une plus grande participation à la vie de la nation. Ils sont restés sourds à une paupérisation de plus en plus grande de la population dans un contexte d’urbanisation galopante, une montée en puissance de l’incivisme traduisant le rejet de ce que d’aucuns considèrent comme un pouvoir sans partage du clan Compaoré. Ils sont enfin restés sourds à la volonté et la demande de changement et d’alternance démocratique réclamée par le peuple.
 
C’est ainsi que le 22 octobre 2014, contre toute attente, le Gouvernement initie et introduit auprès du parlement, un projet de loi modificative. Le parlement l’inscrit dans la foulée à l’ordre du jour d’une session prévue pour se tenir le 30 octobre. Le peuple à travers ses différentes composantes, a considéré qu’une la ligne rouge était ainsi franchie.
 
Le mardi 28 octobre, à l’appel des partis politiques et des organisations de la société civile, plusieurs centaines de milliers de manifestants défilent principalement à Ouagadougou, à Bobo-Dioulasso, pour demander le retrait de la loi. Rien n’y fit. Le régime Compaoré, sûr de lui, maintient le projet et met en place un cordon de sécurité autour de l’Assemblé Nationale afin de permettre aux députés de voter la loi en toute quiétude. C’était sans compter avec la détermination du peuple à barrer la route à ce que l’on pourrait considérer comme un coup d’État constitutionnel.
 
Le jeudi 30 octobre en début de matinée, au moment où les députés commencent à arriver sur place à l’Assemblée Nationale, le peuple mobilisé par centaines de milliers de personnes à majorité jeune, déferle sur les lieux, met le feu à la représentation nationale, mette le feu à la télévision nationale, s’en prennent violemment aux biens privés des proches du pouvoir en place, se rendent au palais présidentiel et demandent dans la foulée le départ du président. Ce dernier résiste, sa garde rapprochée lourdement armée riposte, plusieurs morts et blessés sont comptés mais la détermination des manifestants est intacte. En milieu de journée, le gouvernement annonce le retrait du projet de Loi, mais trop tard. Le pays bascule dans sa troisième révolution après celle du 3 janvier 1966 et celle du 4 août 1983.
 
Le vendredi 31 octobre, la mobilisation ne faiblit pas, Ouagadougou qui s’est embrasée la veille, se réveille défigurée, méconnaissable, d’autres villes aussi, la population en colère et qui a de nouveau empli la place de la nation rebaptisée « place de la révolution », exige la démission du président Compaoré. Celui-ci résiste toujours, hésite un temps, indique qu’il a compris le message, confirme le retrait du projet de loi et son abandon, dissout le gouvernement et propose une main tendue à l’opposition et à la société civile pour dit-il organiser ensemble une période de transition qu’il se dit prêt à accompagner jusqu’aux prochaines élections présidentielles fin 2015. C’est non, lui répondent les manifestants qui demandent à l’armée de prendre ses responsabilités pour sauver ce qui peut l’être encore. Après plusieurs tractations et tergiversations, Blaise lâche finalement le pouvoir dans le milieu de la journée et prend la route de l’exil accompagné de plusieurs de ses proches laissant derrière eux un pays méconnaissable, divisé, sans institution en place, des villes en feu, des familles en pleurs, une armée divisée, un peuple furieux en quête de justice et soif de vengeance.
 
Si le rejet du projet de loi modifiant la constitution fut la motivation principale de cette révolte, la demande obtenue de la démission du président de la république n’aura pas été préparée ni par les partis politiques, ni par les acteurs de la société civile. Une situation classique dans des insurrections du genre qui a failli ouvrir la voie au chaos et qui montre combien il est important pour les acteurs qui portent ces luttes notamment la société civile, de se doter de capacité d’analyse politique bien en amont, de capacité d’analyse du jeu d’acteurs en présence afin de déterminer les contours de la lutte, les objectifs poursuivis, les résultats attendus, les hypothèses et risques ainsi que la gestion des alliances avec d’autres forces en présence.
 
Quels chemins pour l’avenir au Burkina Faso ? les incroyables capacités 
d’un peuple
Eau Vive, présente au Burkina Faso depuis le début des années 1980 et observatrice de la scène nationale burkinabé en ville comme en campagne à travers son action dans une quarantaine de communes du pays, note avec satisfaction de réels progrès en matière de libertés d’opinion individuelle et collective, de maturité politique et d’ancrage de l’idée de démocratie.
Malgré une croissance économique soutenue au cours de ces dix dernières années, la forte croissance démographique, l’insuffisance et l’iniquité dans la redistribution des fruits de cette croissance ont exacerbé les frustrations au sein d’une population notamment dans sa frange jeune de plus en plus exigeante vis-à-vis des dirigeants. Une jeunesse que nous avons qualifiée et reconnue (au cours d’un colloque fondateur d’Eau Vive Internationale en mars 2014 à Ouagadougou) comme étant à la fois un atout mais aussi une menace si elle n’est pas encadrée et organisée. Ainsi, malgré l’existence de cadres de dialogue institutionnalisés (forum national des jeunes, forum national des femmes, journée du pays, rencontres État-ONG, rencontres État-secteur privé,…) ceux-ci ont été la plupart du temps instrumentalisés sans réelle écoute des citoyens dans la gestion des affaires publiques et sans réelle capacité des acteurs de la société civile a influer sur les politiques publiques.
 
Blaise Compaoré est parti, et la révolution ne devra pas accoucher du chaos pour ce peuple réputé travailleur, discipliné et optimiste. Dès le lendemain 1er novembre, ils étaient par milliers dans les rues de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et bien d’autres villes avec balais, pelles et brouettes en main pour nettoyer les dégâts de la veille et redorer l’image de leurs cités.
Cependant, les tergiversations et tensions entre acteurs civils et militaires autour de la gestion du pouvoir post Compaoré dans l’attente des prochaines élections fin 2015, montrent bien l’ampleur du travail à faire pour restaurer la confiance entre burkinabé, la confiance entre un peuple et son armée, la confiance entre composantes de la société notamment entre générations. La désignation par l’armée d’un lieutenant-colonel cinquantenaire et l’apparition de plusieurs mouvements de la société civile qui portent la jeunesse dans leur composition, montrent bien que le Burkina a survécu à cette Nième révolution et qu’une véritable transition générationnelle est en marche. On l’aura aussi compris, la forte demande de la population pour une transition constitutionnelle, montre bien que l’ancrage de la démocratie autour d’institutions républicaines est irréversible.
 
Eau Vive, qui a pris le pari de soutenir depuis plusieurs années les initiatives citoyennes dans les pays d’intervention pour permettre aux acteurs de la société civile, aux élus, mais aussi aux acteurs étatiques, etc de renforcer leur capacité à participer pleinement à la vie sociopolitique, ne peut qu’être que confortée dans ce choix. Toutes ses équipes présentes au Burkina poursuivent en toute sérénité la mise en œuvre des activités des différents projets et programmes sur le terrain en observant les consignes sécuritaires utiles à la protection des personnes et des biens.
 
La victoire éclaire de cette insurrection populaire du 30 octobre 2014 au Burkina Faso et le retour progressif et rapide à la normale, montre combien il est urgent de poursuivre nos effort de mobilisation auprès de nos adhérents et partenaires en France et ailleurs dans le monde afin de soutenir davantage les peuples africains dans le dialogue multi-acteurs pour une gouvernance apaisée dans les pays.
 
A tous les acteurs de la scène sociopolitique et militaire burkinabé, Eau Vive leur exprime et réaffirme sa solidarité dans ces moments difficiles et les invite à privilégier le dialogue et la concertation pour une gouvernance apaisée et un retour rapide à la stabilité dans ce pays qui force l’admiration.